Trahison {Canine}

Ils étaient venus pendant la nuit, alors qu’elle ne s’y attendait pas. Les premières lueurs de l’aube pointaient timidement leur nez au dessus de l’horizon, lorsqu’ils avaient débarqués dans sa chambre. Alice se remémorait cette scène avec difficulté. Et douleur. Plusieurs jours avaient passé depuis la nuit de la morgue, mais il n’y avait pas eu d’échos. Or tout le monde savait bien qu’elle se trouvait là-bas ... Et pourtant, lorsqu’elle était apparue au Conseil le lendemain, les traits tirés, le bras en écharpe et encore de nombreuses plaies visibles, elle n’avait eu le droit qu’à quelques regards et quelques questions sur son état. Mais rien de plus. Elle ne s’était pas doutée un seul instant de ce qui se tramait dans son dos. Cette fois-là, elle s’était bien fait avoir.

Elle avait vraiment pensé à une mauvaise blague. Comment des gens sous ses ordres pouvaient-ils venir l’arrêter ? Pourtant, c’est ce qu’ils avaient fait, la tirant du lit de bonne heure. Il était à peine sept heures du matin et elle se trouvait debout au milieu de sa chambre, entourée d’hommes armés jusqu’aux dents, complètement endormie. Elle fixa le capitaine, se demandant ce qu’il pouvait bien lui vouloir. Celui-ci lui fit un sourire des plus malsains. Et elle eut peur, se demandant ce qui l’attendait. Alice n’est pas facile à effrayer mais là, son instinct lui soufflait que cela allait mal se passer. Elle ne laissa pas transparaitre sa peur et sortit de la pièce, escortée, aussi dignement qu’on peut le faire pieds nus et ne chemise de nuit. Elle ne cessait de s’interroger sur ce qui allait se passer, sur le pourquoi de tout ça, sur ce qu’on allait lui faire. Les hommes l’emmènent dans la salle du Conseil et la firent asseoir à un bout de la longue table de réunion. De l’autre côté se trouvaient ses trois conseillers remplaçants – rappelons que Canine a pas mal amoché les derniers – qui lui souriaient, l’air triomphant. Cela l’agaça et elle décida de tirer les choses au clair :

« Puis-je savoir de quel droit vous faites ça ?
- Par le droit que nous confie la loi : celui de la justice.
- ... Pardon ?
- Vous êtes en état d’arrestation pour usage de la sorcellerie. Vous serez brûlée demain à l’aube. D’ici là, nous espérons que vous allez nous donner les informations que nous avons besoin afin de tuer vos serviteurs maléfiques. Vous nous avez bien eus. »

Alice resta complètement pétrifiée devant ses accusations. Elle n’avait jamais touché à la sorcellerie ! Bien sûr, elle avait fait un pacte avec Théodore, mais c’était pour se protéger, et protéger la ville, pas pour la détruire. Elle allait mourir pour avoir utilisé tous les moyens possibles pour tenter de faire quelque chose ? Elle se leva et posa les deux mains sur la table, suppliant ces hommes, qui avaient son destin entre leurs mains.

« Vous faîtes erreur ! Je n’ai usé de sortilèges ou de quoi que ce soit. J’ai ... Toujours fait de mon mieux pour gouverner cette ville. Ce n’est pas moi qu’il faut brûler, mais toutes les misérables créatures qui peuplent nos rues.
- Et votre créature aux yeux rouges, qu’est-ce ?! Elle a attaqué trois conseillers sans défense, a massacré des innocents et est recherché par la police de cette ville. Elle n’est pas humaine et vous avez pactisé avec, tonna l’un d’eux en pointant un doigt accusateur sur elle.
- C’est faux ... »

Elle secoua la tête, sentant les larmes de rage lui monter aux yeux. Ce n’est pas possible, quelqu’un avait du leur mettre cette idée dans la tête. Deux hommes la saisirent et l’emmenèrent. Elle se serait bien débattue, mais elle était complètement incapable de réagir. Son monde s’écroulait, celui où tout le monde l’écoutait et où tout le monde la craignait.

Elle fut jetée dans un cachot comme n’importe qui. Elle s’assit sur le sol, se demandant le sort qu’on allait lui réserver. Les heures de la matinée s’égrenaient doucement, sans qu’il ne se passe quelque chose, la laissant se torturer avec ses pensées. Elle se sentait juste ... Misérable. Et seule. Terriblement seule.

L’après-midi était bien entamée lorsque la porte de sa prison s’ouvrit. Elle fut emmenée dans un des sous-sols de la prison et à peine s’était elle engagée dans les escaliers qu’elle savait ce qui l’attendait. La torture. Jusqu’à que son corps soit brisé, que son esprit soit incapable d’aligner trois mots. Mais c’est avec sérénité qu’elle y allait. Car elle n’allait rien dire, ils allaient perdre leur temps. Et peut-être cela permettrait-il à Canine d’achever leur œuvre commune. La porte se referma doucement sur elle ...

Quelques heures plus tard, une jeune femme aux cheveux roux était trainée dans les couloirs de la prison avant d’être remise dans son cachot. Elle ne bougeait plus, on aurait pu la croire morte si on ne faisait pas attention au mouvement faible qui continuait d’agiter sa poitrine, montrant qu’elle respirait. L’étoffe qui lui recouvrait le corps ne parvenait pas à dissimuler les nombreuses plaies qui garnissaient son peau. Des entailles plus ou moins profondes, des traces de brûlures ... Ses doigts semblaient pour la plupart brisé et il lui manquait quelques ongles. Son visage avait été épargné, si on excepte sa lèvre fendue et quelques bleus dû à des coups. Mais elle n’avait pas prononcé un mot, seulement hurlé sous la morsure de la douleur. La nuit tombait sur la ville et l’inconscience saisissait la jeune femme.

Tout ce dont elle se souvint, c’est quelques flashs, lorsque sa conscience essayait de reprendre ses droits. Canine la soulevant dans son cachot, la course sur les toits, l’arrivée dans la maison. Elle rouvrit les yeux légèrement en se sentant allongée sur une table. Elle croisa les yeux de son serviteur et ses quelques paroles la rassurèrent un peu. Mais elle avait peur de comment elle allait être sauvée ...

Elle ouvrit doucement les yeux. La douleur s’était calmée, même si elle restait à certains endroits et surtout au niveau de sa poitrine. Elle porta sa main à cet endroit et sentit quelque chose sous ses doigts, qui n’était pas de la peau. Elle se sentait encore complètement amorphe. Elle tourna la tête vers Canine. La France ? Mais qu’est ce qu’ils iraient faire là-bas ? Et surtout elle ? Sa place était ici et non à fuir dans un autre pays. Et de toute façon, il y avait cette barrière autour de la ville qui empêchait tout le monde de sortir.

« Pourquoi ... Pourquoi m’emmener ? Je ne vous servirais à rien. »

Elle avait froid. Cela ne la gênait aucunement d’être nue devant Canine mais elle était gelée. Elle se releva doucement, peu sûre d’elle. La tête lui tournait un peu, mais c’était tout. Elle s’assit sur la table, les jambes dans le vide. Elle avait tout de même du mal à réfléchir. Elle bougea ses doigts, surprise de ne sentir aucune douleur. Pourtant ils avaient été malmenés ... Comment cela se faisait-il qu’elle n’ait strictement plus rien ? Et qu’elle était donc la chose bizarre qu’elle avait sentit tout à l’heure ?

« Comment allez-vous quitter la ville ? Et il est hors de question que je l’abandonne. Il ... Quelque chose de bizarre se trame. Il faut qu’on fasse quelque chose. »

Elle se posait beaucoup de questions. Surtout qu’elle ne savait toujours pas ce qui s’était réellement passé à la morgue. Et elle commençait à en avoir un peu marre de ne pas être au courant de tout et de découvrir au fur et à mesure. Elle posa les pieds par terre, se maintenant à la table pour garder l’équilibre. Son corps avait beau être soigné des blessures qu’on lui avait infligé, la fatigue était encore là et elle le ressentait. Elle effleura la pierre incrustée dans son corps.

« Et c’est quoi ça ? Et il s’est passé quoi ? Et vous ne m’avez toujours pas expliqué pourquoi nous vous avons retrouvé agonisant devant la morgue. Et puis ... »

Et puis plein de trucs qui lui donnaient mal au crâne. Elle baissa la tête et ferma les yeux. S’il partait vraiment dans trois quarts d’heure, il ne lui répondrait sûrement pas. Elle était encore confuse de ce qui s’était passé ce matin même. Elle fixa les yeux rouges de son serviteur. Elle ne s’en rendait pas compte, mais ce qui la rendait si embrouillée, c’était que maintenant, c’était elle qui était la proie et non plus le chasseur. Son monde avait été chamboulé et elle n’acceptait pas les nouvelles règles du jeu.

Il ne voulait pas répondre et même dans son obstination, elle le comprit. Elle se tut donc, se disant que l’exaspéré n’était pas forcément une bonne chose. Il la mordit et bu son sang, alors qu’elle était déjà affaiblie. Elle l’écouta, les yeux baissés vers le sol. Bien sûr qu’elle avait compris qu’elle risquait sa vie à rester là. Mais c’était lâche de partir. Elle avait peur pour l’avenir de la ville si elle partait. Et si la Sorcière prenait la tête des Maudits et décidait de sortir de son clocher, pour venir détruire toute trace d’innocence en ces lieux ? Et Jack ? Il serait libre à présent de faire ses massacres sans problème. Car à part Canine, rien ni personne n’avait le pouvoir d’arrêter les forces sombres qui se trouvaient dans les rues, lorsque la nuit tombait. Elle revêtit la robe que lui donna la petite Fantôme, la remerciant d’un fin sourire. Elle grimpa ensuite sur le dos de Canine, se demandant comment ils allaient faire pour passer la barrière. La Sorcière n’allait sûrement pas les laisser s’échapper et cela l’étonnerait fortement que ce soit son serviteur qui s’en charge. Alors qui ?

Elle eut la réponse lorsqu’ils arrivèrent à la frontière de la ville. Un homme exécutait un rituel, quelqu’un qu’elle avait l’impression de connaître, mais sans plus. Pourtant, si elle avait déjà rencontré ce sorcier, elle s’en souviendrait. L’impatience montait en elle. Pour la première fois en presque vingt ans de vie sur cette terre, elle allait enfin voir autre chose que les rues et les maisons de cette ville maudite. Les douze coups de minuit sonnèrent, la barrière se dissipa l’espace d’un instant et Alice se sentit libre lorsque Théodore l’entraîna. Certes, le voyage qui suivit ne fut pas des plus agréables, vu qu’ils étaient obligés de voyager seulement la nuit et pas forcément dans des conditions aussi confortables qu’elle était habituée, mais l’émerveillement de connaître de nouveaux lieux et l’excitement qui la saisissait lorsque ses pensées partaient vers la France, un pays qu’elle avait toujours voulu visiter – même si elle aurait aussi aimé visiter toute l’Europe – l’empêchait de se plaindre et faisait d’elle une compagnonne plutôt supportable par rapport à d’habitude.

Dix jours de traversée. Cela allait être long, surtout que Canine passait toute la journée enfermé dans son cercueil et qu’elle n’avait pas vraiment de chose à faire. Alors un soir, alors qu’il lisait, elle vint s’asseoir à ses côtés, histoire de discuter un peu et de se changer les idées. De fil en aiguille, il lui raconta son passé. Elle l’écouta attentivement. Elle n’avait jamais pensé qu’un jour, elle en saurait plus sur lui. Certes, elle n’avait d’ailleurs jamais pensé qu’ils seraient aussi proches, pensant que leur première rencontre allait être la dernière. Cela aurait pu sembler dangereux de se lier à quelqu’un dont on ne connait rien, et ça l’était. Elle avait eu la preuve qu’il pouvait avoir des réactions inattendues et elle se souvenait encore de ce que Susan lui avait dit, le soir même de leur visite à la morgue.

Il avait été humain. C’était une chose qu’elle oubliait souvent. Certes, il ne lui avait jamais dit clairement qu’il avait été un jour humain, mais elle l’avait deviné. Ou du moins, espéré. Histoire de le rendre moins ... Froid sûrement. Et il avait tellement vécu ... Lorsqu’elle le regardait, elle avait du mal à imaginer que cela faisait déjà plus de deux siècles qu’il existait. On peut facilement comprendre pourquoi, vu son apparence. Elle ne savait pas quoi répondre à sa question. Oui, satisfaite parce qu’à présent, elle savait plus de choses sur lui. Non, car elle ne savait plus comment le juger. Etait-il humain ? Etait-il une pauvre expérience ? Etait-il seulement qualifiable ? Les secondes s’écoulèrent tandis que son regard restait fixé sur le sol. Elle allait faire quelque chose pour lequel ils étaient doués tous les deux : éluder les questions.

« Je n’étais pas au courant de la présence de ce scientifique. La Sorcière doit le garder à l’abri. Il sera sûrement difficile à trouver. Elle semble avoir un ordre de préférence dans ses larbins. Les Fantômes ne sont plus là, maintenant que vous les avez détruits. Et je pense que notre prochaine cible devrait être l’Eventreur. Il faut l’affaiblir petit à petit, jusqu’à ce qu’elle soit vulnérable. »

Elle se leva et fit quelques pas. D’abord Jack, ensuite l’Horloger, le scientifique et enfin la Sorcière ... Il restait énormément de chose à faire avant de pouvoir se débarrasser de cette vermine qui se croyait autorisé à se créer une armée. Mais est-ce que Canine allait la suivre jusqu’au bout ? Où allait-il l’abandonner dès que sa vengeance sera accomplie ? Elle tourna la tête vers lui.

« Vous en irez-vous dès que vous aurez tué votre créateur ? »

Une autre question la taraudait.

« Bien que vous ne soyez plus humain et que vous soyez froid en permanence, ressentez-vous des sentiments ? Ou êtes vous aussi vide qu’un Maudit ... ? »

La comparaison allait peut-être l’agacer. Tant pis.

(* en français)

Le pacte. Elle avait parfois tendance à l’oublier. Certes, c’était une raison pour lui de l’aider jusqu’au bout, mais en même temps, il lui avait bien fait comprendre que de ne pas le respecter n’allait pas le tuer. Alors elle n’était pas sûre si elle pouvait vraiment compter sur lui, mais elle préféra se taire, se contentant de hocher la tète d’un air entendu. La réponse à sa deuxième question l’étonna quelque peu. Disons qu’elle s’attendait à autre chose. Mais elle ne dit rien, regardant le sol, les yeux dans le vague, le silence s’installant doucement, mettant fin à cette conversation ...

Ils arrivèrent enfin au port et Alice fut contente d’enfin pouvoir mettre pied à terre. La traversée avait été un peu trop longue à son goût et elle était surtout pressée de voir à quoi ressemblait la France. Elle se souvenait des livres qu’elle avait lus avec son précepteur sur ce pays. Mais elle allait devoir patienter encore un peu, même si la patience ne faisait pas parti de ses qualités. Un homme arriva et Canine commença à parler avec lui. La rousse se désintéressa de la conversation, regardant les étoiles. Dans sa ville, les nuages couvraient souvent la lune. Trop souvent. Et ce depuis que la Sorcière était arrivée, figeant le temps et les saisons. Cela lui faisait bizarre de se dire qu’elle se trouvait dans un endroit où le temps s’écoulait normalement et où toutes les journées ne se ressemblaient pas. Elle ne savait même pas en quelle année ils étaient, Les gens ne comptaient plus que les mois et les semaines. Tant de choses auraient pu se produire dans le monde sans que les habitants de la ville maudite soient au courant ... Plongée dans ses pensées, elle suivit les deux hommes jusqu’à la charrette et se plaça à côté du conducteur.

Lors de lors arrêt à l’auberge, le vieil homme l’aborda alors qu’elle était en train de jouer avec sa fourchette. Il fit l’effort de lui parler en anglais, ce qui l’a fit sourire. Comprenant qu’il n’était pas vraiment le genre de personne qu’elle allait supporter longtemps s’il lui parlait, elle avait omit de dire qu’elle parlait suffisamment français pour tenir une conversation. Ses mots la surprirent quelque peu. Elle ne pensait pas Canine capable de sauver quelqu’un à part par intérêt et l’homme n’en présentait aucun apparent. Mais elle se contenta de sourire, replongeant son nez dans son assiette. Le silence vaut parfois mieux que des paroles.

Ils arrivèrent enfin à leur destination. Alice sauta au bas de la charrette, observant avec curiosité ce qui l’entourait. C’était la première fois qu’elle voyait un domaine de cette taille là. En entendant du bruit derrière elle, elle se retourna, s’attendant à se retrouver face à face avec Théodore. Mais à la place se tenait une jeune femme. La rousse fit un pas un arrière, surprise.

« Qu’est ce que ... »

Le vampire ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase et elle le suivit docilement. Arrivée dans la salle à manger, elle se demanda si elle n’était pas en train de rêver en voyant leur hôte. Mais elle se contenta d’un sourire et de lui faire une révérence, comme on lui avait si bien appris à le faire. Elle écouta ensuite attentivement la discussion en faisant semblant de ne pas comprendre. C’était simple à jouer : un sourire un peu gêné et quelques mimiques de visage. Elle se demandait vraiment qui était le vampire. Cela l’étonnerait fortement que ce soit réellement l’oncle de Canine à moins que celui-ci soit réellement une femme depuis le début même si cela l’étonnerait encore plus. Elle suivit Théodore, des questions plein la tête. Mais alors qu’elles étaient toutes les deux seules dans la salle de bain, la rousse décida de se taire. De un, parce que ce n’était pas vraiment le moment de poser des questions, son compagnon avait l’air plutôt occupé à se poser des questions à lui-même. De deux, parce qu’elle se disait qu’elle allait juste profiter de cette soirée. De retour dans la chambre, elle s’habilla et regarda l’autre, légèrement amusée, tourner dans la chambre. C’était une vision assez ... Déstabilisante mais aussi amusante, pour ce qu’elle connaissait du vampire.

La soirée fut de celles qui restèrent gravée dans la mémoire dans la petite humaine. Le fait d’être avec deux vampires y jouait sûrement un rôle. Mais elle put enfin se délecter d’un Paris nocturne illuminé, chose qu’elle rêvait depuis longtemps. Elle put aller au théâtre voir une bonne pièce qui changeait des pourritures qu’on lui servait dans sa ville. Certes, elle trouvait l’histoire de Roméo et Juliette plutôt niaise, mais elle ne pouvait s’empêcher de trouver ça touchant. A la fin, son regard croisa celui de son serviteur et lui adressa un petit sourire. Oui, Alice avait l’air plus commode ces derniers temps et cela l’étonnait elle-même. A croire qu’elle était capable d’éprouver autre chose que des sentiments négatifs. Pour une fois, elle était en paix avec elle-même et cela était assez agréable, il faut l’avouer. Autant pour elle que pour les gens qui l’entouraient. Ils se dirigèrent ensuite vers le restaurant où Alice découvrit de nouveaux saveurs. A un moment, l’oncle lui parla et elle faillit oublier le conseil de son serviteur, relevant le regard. Au dernier moment, elle le détourna pour le poser sur Théodore. Elle préférait passer pour une jeune femme impolie plutôt que de se faire manipuler ...

« Et bien ... Cela ne ressemble guère à ce que j’ai l’habitude de trouver dans mon assiette ... Mais je trouve cela très raffiné et délicieux. »

Ce fut la seule phrase qu’elle prononça de la soirée. Ils rentrèrent ensuite. Dès qu’elle fut dans leur chambre, Alice alla s’étaler sur le lit, complètement épuisée mais bien contente. Elle somnolait, les yeux mi-clos, lorsque son serviteur vint la rejoindre. Elle ne réagit pas en sentant sa main dans ses cheveux, même si elle ressentit une pointe d’étonnement. Après qu’il se soit nourri, il lui demanda si elle voulait parler. Elle avait tellement de chose à dire ... Ce n’était pas dans son habitude de rester aussi silencieuse. Elle se redressa, appuyant son dos contre la tête du lit.

« Je vais sûrement vous exaspérer avec mes questions mais bon ... Qui est cet homme ? Cela m’étonnerait fortement que vous soyez réellement sa nièce ... D’ailleurs, comment dois-je vous appeler ? Théodore n’est pas très féminin comme prénom. Et que faisons-nous ici ? »

Elle tourna la tête vers lui, un petit sourire moqueur aux lèvres.

« Et saviez-vous qu’Albert a une haute opinion de vous ? Je ne savais pas que cela existait mais apparemment, des gens vous admirent et vous sont redevables. »

Il fallait bien qu’elle l’embête un peu, elle n’en avait pas eu l’occasion ces derniers jours ...

Il parlait. C’était assez exceptionnel qu’il parle autant. Elle l’écouta attentivement. Mais ... Cette situation était dangereuse ! La copie de Canine savait donc sûrement que la personne se faisant passer pour sa nièce était en fait Canine et donc, il allait peut-être essayer de le tuer. Et sans son serviteur, la rousse était vraiment dans de mauvais draps. Elle ne pouvait pas tenir face à un vampire, dans un pays qu’elle ne connaissait pas, entourée d’inconnus. Il lui expliqua par la suite pourquoi Albert lui était si reconnaissant et l’utilité que pouvait avoir ce vieil homme. Il est vrai que cela devait être fort utile de l’avoir s’il était complètement dévoué à servir Théodore. Mais ce qui touchait un peu la jeune femme, c’est que l’homme le faisait sans arrière-pensée, juste parce que la créature lui avait sauvé la vie. Et ça, c’était assez impensable pour la elle, qui avait grandis dans un monde où tout service se payait. Elle ne dit rien à la suite et se contenta de se blottir un peu plus contre les draps, tandis que Canine continuait à lui caresser les cheveux. Elle se mit à somnoler, même si son esprit travaillait aux révélations que lui avait faites son serviteur. Elle se posait énormément de questions, faisait des déductions, bref, comme d’habitude.

Mais sans raison apparente, son compagnon sortit brusquement de la chambre, avec seulement un « je reviens ». Alice haussa les sourcils, se demandant si elle allait pouvoir dormir un jour ou pas. Car il était hors de question qu’elle s’assoupisse tant qu’il n’était pas revenu. Elle était bien trop curieuse pour cela. Elle s’assit donc sur le lit, se demandant bien où il avait pu aller. Les secondes, puis les minutes s’égrainèrent sans que le silence ne soit troublé. Soudain, la porte s’ouvrit et Alice tourna rapidement la tête vers le nouvel arrivant, qui n’était autre que l’imposteur. Que lui voulait-il ? Elle n’ouvrit pas la bouche et garda les yeux baissés, de peur qu’il ne tente de la manipuler. Son créateur s’excusait ? C’était peu de chose. Elle avait quand même failli mourir, il lui faudrait bien plus que des excuses pour réussir à digérer ça. Mais ce qu’il dit par la suite la déstabilisa. Rappelons qu’Alice est avide de pouvoir et de puissance et que son rêve est de régner sur la ville, d’où le fait qu’elle veuille exterminer toutes les créatures capables de la surpasser. Et là, il lui proposait une alliance avec les forces obscures de sa ville. En échange du meurtre de Canine. Elle ne sut pas quoi répondre, restant coi devant ses paroles. C’était juste ... Le pire marché qu’on aurait pu lui proposer.

Heureusement, le vrai Canine débarqua et fit partir. Alice resta les yeux fixés sur le sol, réfléchissant. C’était tentant, vraiment tentant. Il suffisait de tuer son serviteur et elle aurait une armée sans précédent à ses pieds. Elle ne répondit pas de suite à la question de Théodore, pesant le pour et le contre du marché de « l’Oncle ». Mais quelque chose la tracassait. Rien ne lui disait qu’il tiendrait sa parole. Il avait beau être un beau parleur, elle ne s’était pas laissée duper là-dessus. Rien n’obligeait la Sorcière à tenir son marché. A peine rentrée à Damn Time, la rousse risquerait de se faire tuer. Et sans Canine ... Elle était morte d’avance. Au moins, Théodore avait un pacte avec elle l’obligeant à aller jusqu’au bout de son engagement. Finalement, elle releva la tête, sa décision prise. Il était absolument hors de question qu’elle laisse le double faire.

« Il m’a ... Proposée une alliance en échange d’une aide pour vous tuer. Nous sommes vraiment en danger ici, il nous tuera dès qu’il en aura l’occasion. Il faut absolument faire quelque chose. Je ne me sens vraiment pas en sécurité ... »

Elle avait l’impression que la situation était des plus urgentes. Dès que l’autre saurait qu’elle refusait son marché, elle se ferait sûrement tuer, ou du moins, le pensait elle. Sinon qu’elle était l’utilité de la garder en vie. Elle jeta un regard empli de détresse à son serviteur.

« Que comptez-vous faire ? »

Son serviteur, après lui avoir gentiment répondu, alla se coucher. Alice resta encore un moment à réfléchir puis alla à son tour se glisser sous les draps. Rien ne serait régler avant la prochaine nuit. Au moins, la journée, elle était sûre d’être en paix. Parfois, ça a du bon de vivre avec des vampires ... Quelques heures plus tard, elle sortit du lit en silence. La jeune rousse traversa les couloirs déserts et sortit dans la cour. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas pu profiter du soleil et de l’air frais comme elle l’entendait. Il y avait encore de nombreuses heures avant le coucher du soleil. Autant les vivre de manière insouciante. Elle passa la journée à explorer le domaine et la maison. Peu après que les dernières lueurs de l’astre diurne aient disparu, elle croisa le second Canine au coin d’un couloir. Rien que de voir son visage l’emplissait d’un mal être profond. Elle hâta le pas vers leur chambre, espérant y trouver son serviteur. Mais celle-ci était déserte. Elle fronça les sourcils, se demandant où il pouvait être. Elle chercha pendant un moment dans la demeure avant de sortir pour voir si Albert ne savait pas où pouvait se trouver son cher sauveur adoré. Elle tomba nez à nez avec le Second, qui avait dégainé ses rapières. Elle fit quelques pas en retrait, restant muette. Ca allait faire mal.

Bon apparemment, il semblait tout à fait impossible de tenter de le raisonner. Elle ramassa l’arme qui se trouvait à ses pieds, se demandant comment elle allait faire pour s’en sortir. Certes, elle avait déjà manié des rapières, mais jamais assez pour savoir réellement se battre. Surtout contre un vampire qui semblait déchaîné. Mais si la rousse avait appris quelque chose ces derniers mois, c’était le courage. Elle souffla un grand coup et resserra sa prise autour du manche de l’arme. Elle pouvait le faire. Quoique non. Mais il était hors de question qu’elle se laisse tuer sans rien dire. Il bondit sur elle et elle réussit à parer la première attaque. La violence qui habitait son adversaire se ressentait dans la force qu’il mettait à tenter de la tuer. Un coup suffit pour qu’elle ait l’impression que son bras allait tomber en morceau. Le reste fut juste un carnage. Il réussit à la désarmée et l’enchaîna. Alice se protégea le visage de ses bras, se recroquevillant sur elle-même. Finalement, un coup de pied bien placé la fit chuter et elle tomba lourdement sur le sol. De nombreuses plaies parsemaient sa peau et même si elle pouvait y survivre, la douleur était vive. Alors que son adversaire levait sa rapière pour la planter dans son corps et la tuer, une douce chaleur naquit dans sa poitrine et se répandit. Elle sentit une force comparable à celle de la fois où elle avait massacré John Lynch. Sauf qu’au lieu de se transformer en harpie dénué de conscience, elle ne perdait pas le sens de la réalité. Avec un cri de rage, elle se releva et fonça sur son adversaire, tête baissée, ne lui laissant pas le temps de réagir. La rapière de l’imposteur tomba sur le sol. Elle la ramassa prestement et la lui planta dans la poitrine, bien au niveau du cœur. Il n’avait pas réagit assez vite, sûrement à cause de la surprise qui l’avait saisi lorsqu’elle s’était relevée. Mais ce n’était pas terminé. Il fallait qu’elle trouve Théodore et qu’ils en finissent avec lui, parce qu’elle n’avait strictement aucune idée de s’il était vraiment mort ou pas. Elle fouilla ses poches et trouva un trousseau de clefs. Bien. Mais maintenant, elle ne savait pas quoi faire. Elle n'avait absolument pas où se trouvait son serviteur.

Devait-elle partir à sa recherche ? Elle n’allait jamais le trouver si elle faisait ça. La bâtisse et le domaine était tellement grand ... Et puis, c’était truffé de serviteur du second, qui devaient tous être à sa solde. En fait, elle n’était absolument en sécurité nulle part. Réjouissant. Et si Canine était retenu prisonnier, comment allait-elle pouvoir faire ? La solution qui restait était de s’enfuir, mais elle était plutôt réticente à faire cela. Déjà, parce que c’était de la lâcheté et ensuite parce ... Parce qu’elle ne voulait pas. Elle n’allait pas non plus fuir à chaque fois. Mais là, elle ne savait pas quoi faire, à part rester plantée devant le corps étendu de son ennemi.

Canine apparut subitement et elle en fut réellement soulagée. Elle savait bien que leur ennemi n’allait pas tarder à se relever mais savoir son serviteur à ses côtés lui redonnait des forces pour finir cet affrontement. Elle n’eut pas le temps de répondre à sa question que déjà le second se relevait. Elle recula, regardant avec horreur sa transformation. Mais quel était donc ce monstre ? Avaient-ils seulement une chance de survivre ? Elle n’y croyait pas, mais elle était déterminée à vendre chèrement sa peau. Ce n’était plus la petite Alice terrifiée de se battre contre un Maudit. Elle ramassa rapidement les armes que leur ennemi laissait tomber sur le sol et battit en retraite derrière Théodore. Elle n’allait pas être d’une grande utilité pour l’instant, préférant lui laisser une totale liberté. Elle observait, attendait le moment propice pour s’élancer. Canine semblait faiblir, mais la rousse ne savait toujours pas si elle devait intervenir. Elle ne savait pas se battre et ne se pensait donc pas capable de prendre des initiatives.

Un hoquet d’horreur la saisit lorsqu’elle vit son partenaire disparaître à l’intérieur de la masse sombre. Les secondes qui s’écoulèrent avant l’explosion lui semblèrent terriblement longues. Etait-il mort ? Mais finalement, il réapparut et heureusement pour elle. Elle se sentait totalement inutile et ce n’était pas vraiment une sensation agréable. Voir ses larbins mourir ne la gênait pas, mais elle avait encore trop besoin de Théodore. Le second semblait se rappeler de sa présence car des tentacules noirs vinrent l’enserrer, comme s’il tentait de lui broyer les côtes. Elle le frappa avec ses lames, tentant tant bien que mal de se défaire de cette étreinte mortelle. Il la relâcha et tandis qu’il s’occupait de Canine, elle vit la Pierre. Sans attendre l’ordre de Canine, elle se précipita sur lui et se mit à marteler la Pierre de sa rapière. Plusieurs fois, des appendices noirs tentèrent de l’en empêcher, mais elle réussissait à les repousser. Elle ne savait pas trop quoi faire pour la briser et mettre fin à ceci. C’était bien gentil de lui demander de la briser, encore fallait-il qu’elle sache comment faire ... Finalement, elle attrapa son arme à deux mains et la planta le plus fortement possible dans la Pierre. Elle ne voyait que ça.

Trois jours s’étaient écoulés depuis leur défaite. Enfin, Alice considérait ça plutôt comme une victoire vu qu’elle n’était pas morte ou gravement blessée, mais elle avait bien vu à la réaction du chasseur qu’il avait été clairement pas supporté voir son ennemi s’envoler. Elle était aussi un peu inquiète de savoir ce qu’une abomination dans ce genre là pouvait faire, mais il serait assez étonnant qu’il revienne de suite. Il avait quand même bien souffert. Au début elle s’était inquiétée pour Théodore, se demandant ce qu’il pouvait bien faire enfermé ainsi. Mais après une journée, elle avait compris que de l’attendre ne servait à rien. Alors elle profitait du beau temps. Damn Time était une ville toujours froide et humide, où le soleil ne se montrait que rarement. Pouvoir se promener parmi les arbres en fleurs et les oiseaux gazouillants, aussi niais que cela puisse être, la réjouissait. Elle avait le sourire plus facile et semblait moins froide et moins détestable que d’habitude. Elle profitait du soleil la journée et des étoiles le soir. Puis finalement, Canine se manifesta.

Alors que la rousse revenait dans sa chambre après une balade dans le domaine, elle trouva le jeune homme posté dans la pièce. Elle ne dit rien, attendant qu’il parle. Elle prit place à ses côtés, réfrénant les questions qui lui venaient aux lèvres. Il fallait vraiment qu’elle apprenne à se retenir. Il se nourrit et cela la rassura quelque peu. D’ailleurs, comment avait-il fait pendant trois jours ? S’était-il retenu ? La question qu’il posa l’étonna profondément et elle lui jeta un regard surpris. C’était vraiment bizarre de sa part. Pourquoi cette question ? Elle ne comprenait pas. Bien sûr que non il n’était pas comme ce monstre. L’imposteur était complètement fou et dénué de toute conscience humaine. Mais alors qu’elle ouvrait la bouche pour lui répondre, il la coupa. Elle fronça les sourcils. Que lui arrivait-il ? C’était assez déstabilisant de le voir comme ça, presque mal à l’aise. Elle avait l’habitude de compter sur lui. Depuis qu’elle le connaissait, il n’avait jamais semblé avoir de doute ou se remettre en question. Il était un peu un pilier sur lequel elle s’appuya, elle l’humaine faible et si peu expérimentée. Il s’approcha d’elle et elle se laissa faire, gardant ses yeux bleus plongés dans ses pupilles couleur rubis.

« Je pense que lorsqu’on s’attache à quelqu’un, c’est bien plus qu’un simple mélange de molécules. C’est ... Plus profond. Les sentiments ne se contrôlent pas. Cela ne sert à rien de tenter de lutter contre. Il faut les accepter comme ils sont, ne pas chercher de raison logique. Le fait que vous commencez à ... Tenir à quelqu’un ... Prouve que vous n’êtes pas un monstre. Les montres n’ont aucune attache, aucun sentiment. Ils ne sont qu’une coquille vide. »

Les mots avaient un peu du mal à franchir ses lèvres, car elle s’interrogeait en même temps sur ce qu’elle ressentait pour l’homme qui se trouvait en face d’elle. Elle ne pouvait nier le fait qu’elle s’était attachée à lui. Qui ne l’aurait pas fait après tout ce qu’ils avaient fait ensemble ? Surtout qu’elle n’avait aucune raison particulière de le détester. En fait, elle devait juste avouer qu’elle ne savait pas trop.

« Vous étiez peut-être un monstre au départ, mais maintenant, vous êtes juste différent. »

Qui était-il donc pour la troubler ainsi ? C’était bien la première fois qu’elle était ainsi mise mal à l’aise. Etait-elle en train de perdre sa force, de se laisser soumettre par cet homme qui savait prononcer de belles paroles ? Elle avait peur, elle n’était absolument pas habituée à ce genre de situation. Son monde tombait lentement en morceaux, au fur et à mesure que Canine et elle avançaient dans leur quête. Elle avait envie de le détester, car il dérangeait tout, ne correspondait absolument pas aux règles de ce monde. Et en même temps ... Comment ne pas être attiré par le seul être qui lui tenait tête directement ? Celui qui savait la blesser et la mettre devant les faits, celui qui savait la rendre folle de rage et lui faire faire des choses qu’elle ne se serait jamais pensé capable de faire ... Son contact la troublait, elle ne savait plus quoi penser, elle était perdue. Il jouait sûrement avec elle, mais elle essayait de se persuader du contraire. Peut-être était-il enfin sincère. Ses yeux bleus azurs restaient fixés dans le regard de son serviteur tandis qu’elle restait figée, à se faire manipuler comme une simple poupée.

Être la Reine de sa ville ... Elle en rêvait depuis tellement longtemps. Est-ce qu’un seul homme serait capable de l’emmener jusqu’au sommet ? Quand elle repensait à ce qu’ils avaient parcouru jusqu’ici, elle avait envie de croire que Canine était capable de l’aider jusqu’au bout, jusqu’à ce que sa soif d’ambition soit un peu contenter. Elle voulait voir la Sorcière et ses Sbires dégager de sa ville, voire mieux, mourir devant ses yeux pour être sûre qu’ils n’allaient pas revenir. Elle voulait voir leur sang s’étaler sur le sol, leurs yeux encore effarés du fait qu’une jeune femme ait enfin réussi à mettre fin à leur règne de terreur. Elle fronça les sourcils. Elle entrouvrit la bouche pour lui demander si cela n’était que des mensonges, mais l’homme la devança et l’embrassa. La rouquine écarquilla les yeux de stupeur, ses doigts se refermèrent sur le drap du lit. Tout s’emmêlait. Alice n’était qu’une humaine et de plus, elle n’avait jamais côtoyé intimement des hommes, à part son précepteur et son père. Autant dire que cela la rendait confuse. Lorsqu’il la lâcha, elle se redressa doucement, gardant la tête baissée, cachée derrière sa chevelure.

Elle hocha la tête et murmura un « Bonne nuit » presque indistinct. Dès qu’il eut quitté la pièce, elle alla vers la fenêtre qu’elle ouvrit. La brise fraîche lui faisait du bien et l’aidait à reprendre ses esprits. Le moment qui venait de passer avait été des plus étranges. Quelles surprises de ce genre lui réservait encore Canine ? Avait-il conscience de ce qui s’était produit dans le cerveau d’Alice ? Elle ne put s’empêcher d’avoir un sourire. Bien sûr qu’il savait. Il jouait probablement là-dessus. Elle ne le connaissait pas beaucoup, mais assez pour pouvoir penser qu’il ne montrait des sentiments, réels ou fictifs, seulement quand cela l’arrangeait. Elle ferma la fenêtre et décida de suivre le conseil de Théodore. Une bonne nuit de sommeil allait lui faire le plus grand bien.


A des centaines de kilomètres de là, en haut d’un grand clocher, cachée derrière l’horloge et les aiguilles, souriait la Sorcière. Son plan se déroulait comme prévu. La petit Carwell était finalement une bonne cible ... Un patin des plus succulents. Elle s’était attendue à plus de résistance pour entrer dans son esprit et l’espionner, mais apparemment, la rouquine ne s’était même pas rendue compte de ce qu’il s’était passé. Elle n’allait pas s’en plaindre, cela lui permettait d’observer Canine tranquillement. Il était tellement fascinant ... Elle avait hâte de pouvoir utiliser ses entrailles pour forger sa nouvelle créature. Elle ricana tranquillement en rangeant le bassin d’eau qui lui permettait de voir les par les yeux de la gamine. Des bruits de pas se firent entendre et l’Horloger Maudit entra dans la pièce, précédé par le cliquetis de son cœur d’acier. La Sorcière ne put s’empêcher de lui jeter un regard attendri. Elle l’aimait comme un fils. Après tout, elle l’avait élevé comme tel.

« Tout se passe comme prévu ?
- Oui mon garçon, tout est parfait. Il ne nous reste plus qu’à les attendre et les accueillir.
- Cela dure depuis trop longtemps ...
- Patience. Laissons-les venir dans notre piège tranquillement. Et alors, tu pourras te repaitre de leur sang. »

La vieille femme s’approcha du renégat et lui caressa gentiment la joue. Elle ne le montrait pas, mais elle était elle-même impatiente de les voir tomber et périr. Cela faisait tellement longtemps qu’elle attendait, forgeant la gamine au fur et à mesure. Elle avait bien choisi sa proie, qui n’avait jamais pliée. Mieux encore, Alice l’avait aidée en devenant l’être détestable qu’elle était aujourd’hui.

« J’attend ce moment depuis des années. Nous pouvons attendre encore quelques temps. Va me faire du thé maintenant, tu seras gentil. »

Bientôt, ce serait enfin le dénouement de cette histoire. La Sorcière leva la tête et regarda la Lune par un des trous dans le toit. La plus longue nuit de Damn Time allait prochainement avoir lieu, avant de se répandre sur le reste du monde. Elle ferait payer ces ingrats.