La mort nous attend tous {Libre}

C’était de la folie de se trouver en ces lieux. Les Fantômes hantaient ce moulin depuis des années à présent et considéraient que c’était leur quartier général, que personne n’avait le droit d’y pénétrer. Les seuls êtres vivants qui étaient venus ici pour tenter d’espionner les morts n’étaient jamais revenus ... Le moulin était dangereux, de nuit comme de jour. Quoique l’astre solaire protège parfois … Cela dépendait du jour apparemment. Mais également de qui on était. C’est pourquoi Alice savait bien qu’elle ne risquait presque rien. Oh, il y avait toujours un doute, car il lui restait encore quelques petites choses à éclaircir, mais elle était sûre que les Fantômes l’accueilleraient avec réticence, mais ne lui ferait pas de mal. Pourtant, alors qu’elle se trouvait à quelques mètres de la bâtisse, elle hésitait. Elle ne se basait que sur des suppositions, et cela lui avait déjà couté cher … Pouvait-elle se permettre de recommencer, surtout que cette fois, c’était sa vie qu’elle risquait ?

La rousse frissonna. A penser ainsi, elle n’allait pas aller bien loin. La peur gagnait petit à petit son cœur, rongeant son courage. Non, il ne fallait pas qu’elle se laisse dominer par ces sentiments, sinon elle allait perdre avant d’avoir commencé la partie. Car chaque nouvelle aventure, chaque nouvelle prise de risque est comme une partie d’échec : un faux pas et vous pouvez vous condamner. La jeune femme prit une inspiration et se dirigea lentement vers la bâtisse. Elle se rappelait, dans ses souvenirs les plus profonds, que la roue tournait. A présent, celle-ci s’était arrêtée, bien qu’on dise que parfois, un souffle fantomatique du passé revienne, donnant l’impression que le moulin reprenne vie. Alice arriva à la porte d’entrée qui était plutôt en bonne état, ce qui était assez étonnant pour une bâtisse abandonnée depuis des lustres. Elle poussa le battant, qui grinça sur ses gonds. La rousse fit quelques pas, découvrant l’intérieur du bâtiment.

Avec toutes les rumeurs qui couraient, on pouvait s’attendre à quelque chose d’exceptionnel … Mais non. C’était un moulin comme des plus normaux qui existent … Quoi que … Non, quelque chose dans l’atmosphère laissait penser qu’il se passait des choses ici, que des êtres dangereux y vivaient. C’était peut-être le froid qui transperçait jusqu’aux os alors que le temps dehors était plutôt doux. L’obscurité profonde qui régnait. Ce sentiment. Ces voix … Alice sursauta en entendant des murmures à son oreille. Elle n’était pas la bienvenu et elle le savait. Mais il semblait que les Fantômes aient décidé de ne pas la tuer … Sinon ils l’auraient déjà fait. C’est avec surprise qu’elle remarqua aucun cadavre et aucun os sur le parquet … Un mystère à résoudre.

Une présence se fit sentir à ses côtés et elle n’osa plus bouger. Elle aurait aimé que quelqu’un de l’extérieur la rejoigne. En fait, elle aurait aimé avoir une personne en particulier à ses côtés … Elle siffla entre ses dents à cette pensée. Comment pouvait-elle espérer cela ? Il avait failli être responsable de sa mort ! Mais en même temps … Alice secoua la tête, chassant cette pensée. Non. Elle devait être seule. Elle le pouvait. Elle n’était plus une enfant terrifiée. Respirant calmement, elle murmura :

« Esprit, es-tu là ? »

Très vague comme appel, mais la personne morte qu’elle cherchait allait se reconnaître … Du moins, elle l’espérait.

C’était le cœur battant que la jeune fille attendait une réponse. Quelques secondes s’écoulèrent puis une voix s’éleva. Mais ce n’état pas celle qu’elle attendait. Alice serra les dents et elle se tourna vers l’endroit où se trouvait le chasseur. Il souriait et cela l’agaçait au plus haut point. Certes, il lui avait sauvé la vie, mais tout de même ... Ce n’était pas une réponse pour la traiter ainsi ! Alice voyait de la condescendance dans l’expression de Canine ... Elle le fixa d’un regard froide t sévère, se demandant ce qu’il faisait là, enroulé dans une cape en mauvais état. Etait-ce son repère ? Cela ne l’étonnerait pas, vu comment il était bizarre. Et après tout, même s’il se battait contre les Maudits, il était lui aussi une créature de l’ombre, les Fantômes avaient pu accepter qu’il réside avec eux. Elle décida de ne pas prêter attention à cet être insignifiant et abject. De toute façon, elle n’en eut pas le temps.

Un souffle glacé et la sensation de présence à côté d’elle se renforça. Elle se figea totalement. Sa respiration s’accéléra légèrement sous le coup de l’excitation et de la peur. La rousse tourna la tête vers sa droite et vit une silhouette de petite taille apparaître doucement. C’était une petite fille, environs sept ou huit ans. Sa mort avait dû être atroce, vu l’état de son corps fantomatique ... Il lui manquait une partie de la tête et les pâles couleurs laissaient penser qu’elle avait dû baigner dans son sang, car ces vêtements et ses membres étaient tachés. Très joyeux tout ça. Alice sentit une nausée la prendre et elle ferma les yeux, quelques secondes, tentant de se calmer. Si elle commençait à paniquer maintenant, elle n’allait pas aller bien loin. Elle sentit quelque chose de froid lui saisir le poignet. Elle rouvrit les paupières et s’aperçut que la gamine l’avait saisie et commençait à la tirer vers le fond de la pièce, là où se trouvait l’escalier menant à la cave. Alice ne pouvait pas résister, une sorte d’engourdissement gagnait son corps, qui refusait de lui répondre. Son esprit restait lucide et elle jeta un regard effrayé au chasseur.

La rousse était entrainée vers la gueule béante de l’escalier. Elle commençait à se demander si tout le monde ne finissait pas dans les souterrains et que c’était là que se trouvaient les cadavres. Après tout, aucun ossements ne se trouvaient au rez-de-chaussée, pourtant, des gens étaient bien morts ici, c’était sûr et certain. La Fantôme commença à lui faire descendre les marches, après avoir fait signe à Canine de la suivre. La jeune femme espérait que celui-ci n’allait pas avoir l’idée stupide de s’en prendre maintenant au spectre. Elle n’avait pas envie de perdre une main dans cette histoire ... A chaque pied qu’elle posait sur une marche, le visage de quelqu’un qu’elle connaissait, que ce soit une simple connaissance ou un proche, et qui était mort, lui apparaissait, en commençant par sa mère. Cette vision lui serra le cœur. N’avoir pas connu sa génitrice était un manque qu’elle avait toujours ressenti. Puis d’autres personnes chères à son cœur et qu’elle avait perdu lui apparurent devant les yeux, lui faisant éprouver culpabilité et remord, chose qu’elle ne connaissait pas. Elle se demanda si le vampire l’avait suivit et s’il subissait aussi ça.

Brusquement, elle fut projetée en avant et se retrouva à genoux au sol. La rousse releva la tête et vit avec horreur qu’elle était entourée de Fantômes, tous mutilés, signe que leurs morts n’étaient pas naturelles. Ils chuchotaient entre eux, la regardant d’un air mauvais. La noble tenta de se relever, de regarder où était le chasseur, mais un pois imaginaire sur ses épaules l’empêchait de bouger. Les paroles des créatures lui vinrent aux oreilles. « C’est de ta faute. ». Que cela signifiait-il ? Alice aurait voulu remonter à l’air libre, elle étouffait dans cette cave. Elle avait l’impression que le plafond descendait et que l’air se raréfiait. Les murmures augmentèrent en intensité jusqu’à remplir tout l’espace possible. La jeune femme se boucha les oreilles, mais elle continuait tout de même à les entendre, ils emplissaient son crâne et son esprit. Mais où était ce foutu vampire quand elle avait besoin de lui ?! Elle leva des yeux implorants vers les Fantômes, qui se jetèrent brusquement sur elle. Elle hurla.

Sans qu’elle ne sut très bien pourquoi, les âmes qui la tourmentaient partaient une à une. Elle se tourna vers son compagnon qui se trouvait derrière elle. Une étrange lueur s’échappait du katana qu’il tenait entre ses mains. Finalement, ils se retrouvèrent seuls dans ce passage souterrain. Elle était encore un peu ébranlée par ce qui venait de se passer. Elle resta sur place, regardant le couloir qui s’enfonçait dans la profondeur de la terre. Qu’y avait-il au bout ? Que lui voulaient les Fantômes ? Elle soupira. La créature avait tout gâché. Certes, elle lui avait envoyé un appel au secours muet, mais elle se refusait de l’admettre. Puis les damnés revirent et s’en prirent de nouveau à Canine. Sans qu’elle ne puisse réagir. Elle se sentit tiré à nouveau vers le fond. Alice résista et tendit la main dans un geste inutile de désespoir. Tandis qu’elle s’éloignait de lui. Une voix fantomatique lui parvint aux oreilles :

« Je croyais que tu voulais me voir ... ? »

Elle se retourna brusquement et se retrouva nez à nez avec une femme aux cheveux d’un roux flamboyant et aux yeux bleus, comme les siens. Même si cela faisait à présent dix-neuf ans que ce Fantôme errait sur la terre et pourtant, ses couleurs n’étaient pas passées, on pouvait toujours sentir l’aura de charisme et de puissance qu’elle devait dégager de son vivant. La petite rousse resta un moment muette devant cette apparition, avant de s’approcher d’un pas.

« Maman ... ?
- On a beaucoup de choses à se dire. Suis-moi. »

L’âme continua son chemin et la jeune fille n’eut d’autre choix que de la suivre. Enfin, elle allait avoir une réponse à certaines de ses questions. Ce moment tant attendu mais également un peu émouvant pour elle qui n’avait jamais connu sa mère était enfin arrivé. Pour une fois, elle était contente de vivre dans cette ville où même les morts n’ont pas de repos, car cela aurait été tout bonnement impossible dans un autre lieu que cette ville maudite. Comme quoi, ça a parfois du bon ...

[...]

Alice remonta enfin. La première chose qu’elle vit lorsqu’elle arriva au rez-de-chaussée du bâtiment fut un corps apparemment sans vie étendu là. Elle s’avança doucement et se rendit compte que c’était Canine. La jeune femme fronça les sourcils. Que s’était-il passé ? S’était-il encore battu avec des Fantômes ? Pourtant, il semblait trop fort pour se faire ainsi lyncher par de simples âmes errantes. Ces dernières avaient de grands pouvoirs sur les êtres douées de sentiments, mais la créature qui se trouvait à ses pieds ne semblait pas connaître ce mot, elle ne pouvait donc pas être influencé. Il avait sûrement d’autres ennemis ... Pas étonnant lorsqu’on voit son caractère belliqueux et agressif. Mais s’il était mort, elle était dans de sales draps. Elle avait besoin de lui pour la suite. Elle se rapprocha encore de quelques pas avec précaution. Une voix s’éleva de la forme ramassée sur le sol. Elle se détendit quelque peu et vint s’accroupir à côté de lui. Elle le laissa parler jusqu’au bout puis resta un moment à côté de lui, les yeux dans le vague. Cette offre était vraiment intéressante, mais qu’est ce qui lui prouverait qu’il disait vrai ? Que ce n’était pas un moment de la contrôler ou quelque chose du genre ? Pire, qu’il n’allait pas la transformer ? Elle se releva et recula de quelques pas en lui tournant le dos, laissant une certaine distance entre eux.

« Et vous pensez que je vais accepter ? »

C’était vraiment tentant ... Avoir d’autres pouvoirs, devenir plus puissante, pouvoir rayer ses sales Maudits de la carte et assouvir le peuple de cette ville ... Oh oui, Canine avait touché un point sensible : la soif de pouvoir qui régnait en Alice. Elle était tiraillée entre son instinct qui lui disait que l’homme n’était pas digne de confiance et cette envie d’accepter. Ses pensées se bousculaient. Et puis ... Avec ce que lui avait dit sa mère ... Elle avait bien insisté sur le fait que Canine serait un compagnon précieux pour la suite et qu’elle devait tout faire pour le faire survivre et pour qu’il reste avec lui, même si cela devait mettre sa vie en danger ... Puis elle soupira.

« Bien ... J’accepte. De toute façon, je ne pense pas avoir le choix. Mais je vous préviens ... Vous avez intérêt à respecter vos engagements. Si vous ne le faîtes pas et qu’il me reste un tant soit peu de lucidité, vous le regretterez amèrement. »

Elle revint à côté de lui.

« Et comment on fait ça ? »

Donner son sang encore une fois ...

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Elle ne s’attendait pas à ce qu’il la morde directement, d’où le léger cri de surprise qui s’échappa de ses lèvres. Mais elle ne tenta pas de se débattre. Il fallait bien qu’elle l’accepte, maintenant qu’elle avait conclu une alliance avec lui. Elle détourna le regard, fixant le mur d’un regard vide, sentant son énergie partir petit à petit. Puis Canine se détacha et se releva. Alice ne put s’empêcher de se passer la main dans le cou comme à son habitude, alors qu’elle savait bien qu’elle ne sentirait jamais rien sous ses doigts, les trous se refermaient trop rapidement. Elle se mit debout à son tour, se demandant ce qui l’attendait. A quoi pouvait donc bien ressembler ce rituel ... ? Comme à son habitude, elle se crispa lorsque les doigts du jeune homme se posèrent sur elle. C’était un réflexe. Il allait falloir du temps pour être détendue en sa présence. Elle savait qu’il était puissant, d’où le fait qu’elle soit toujours sur ses gardes. Elle baissa les yeux en se mordillant. Comme si elle n’était qu’une ‘pauvre petite fille’ ... La vérité était tout autre. Son innocence et sa candeur apparentes semblaient trompées tout le monde. Elle murmura :

« Les apparences sont souvent trompeuses. Un monstre peut se déguiser en innocent. »

Elle observa avec curiosité les préparatifs du rituel. Alice trouvait peut-être tout cela répugnant à souhait – un pacte avec une créature maléfique ... on aurait tout vu -, cela l’intéressait au plus au point. Tout ce qui touchait à la magie, aux sciences obscures et toute autre chose sortant de l’ordinaire l’intriguait. Elle resta sagement dans son coin, regardant le moindre geste de Canine. Les signes sur le sol étaient tout simplement incompréhensibles pour elle et elle ne comprenait pas non plus ce qu’il racontait. Bref, elle était perdue. Lorsque les dessins s’animèrent, elle se dit que finalement c’était peut-être une mauvaise idée. Mais il s’approcha déjà et elle ne voyait pas comment fuir. Ou tout simplement, elle ne voulait pas céder devant lui. Elle était peut-être qu’une sale hypocrite, mais elle tenait sa parole. Elle avait promis, elle irait jusqu’au bout. Il la mordit brusquement et elle ferma les yeux. Les morsures lui apportaient toujours des sentiments mêlés. Douleur, peur, dégoût, mais également, plaisir, à son grand regret. D’ailleurs, elle ne l’avouerait tout simplement jamais. Il l’attrapa et elle le regarda, restant le plus calme possible.

Même si elle s’y attendait, elle ouvrit les yeux de surprise lorsqu’il lui annonça qu’il fallait qu’elle boive son sang. Elle tenta de reculer, de se libérer de son étreinte, mais il ne la lâcha pas. Puis elle se calma et leva la tête vers lui. Alors qu’elle s’apprêtait à lui demander comment ils allaient procéder, Canine l’embrassa. Enfin, si on peut qualifier ça de baiser. Car boire le sang que déversait la langue du jeune homme dans sa bouche n’était pas vraiment une chose commune. Sa respiration s’accéléra et lorsqu’il recula, elle en profita pour aller coller son dos au mur, le regardant avec un drôle d’air. C’était ... Etonnant. Elle se passa les doigts sur les lèvres, essuyant le sang qui était en train de sécher. C’était la première fois qu’elle goûtait au liquide et à vrai dire, cela n’avait pas vraiment le goût qu’elle s’attendait. Ou alors, c’était parce qu’il venait d’un être qui n’était pas vraiment humain. Le rituel s’acheva sans qu’Alice ne prononce un mot. A sa question, elle fronça légèrement les sourcils et se décolla de son mur, gardant quand même une main posée dessus car elle n’avait pas confiance en ses jambes tremblotantes. C’était sûrement le fait d’avoir perdue une certaine quantité de sang qui provoquait ça, combiné au choc du rituel.

« Je ne sais pas trop. Je suis surtout ... Confuse. »

C’était bien le mot qui collait à la situation. Elle regarda Canine, se disant qu’à présent, elle était liée à lui. Elle ne savait toujours pas si c’était une bonne idée ou pas. Mais à présent, seul le temps pourrait lui dire si elle allait regretter cette action irréfléchie. Elle accepta sa proposition avec un plaisir dissimulé. Elle ne se voyait pas rentrer à pied jusqu’au manoir. Surtout si la nuit était tombée ... Elle n’était pas en était si elle se faisait agresser. Elle se percha sur son dos, les bras noués autour du cou du jeune homme, les jambes enlaçant ses reins. Elle hésita quelques secondes avant de parler.

« Est-ce que vous pourriez rester un moment ? J’aurais sûrement quelques questions à vous poser ... »

Lorsqu’il se mit à bondir en direction de son habitat, Alice ne put s’empêcher de resserrer son étreinte autour du corps du garçon. C’était assez spéciale comme façon de se déplacer. Canine la déposa juste devant sa maison. Elle hocha la tête sans un mot et le regarda disparaitre dans une ruelle. Pour une fois, elle était sûre que ce qu’il disait était vrai. S’inquiétait-il pour elle, vu qu’il lui avait conseillé de se reposer ? Alice sourit froidement. Bien sûr, elle était devenue un moyen de subsistance pour lui ... Elle soupira puis monta les marches jusqu’à la grande porte. Elle ne savait pas du tout l’heure qu’il était, elle avait perdu la notion du temps. Mais elle était partie depuis le matin, et personne ne l’avait croisée. Tout le monde devait s’inquiéter. Cela lui était bien égal, mais les gens allaient poser des questions sûrement indiscrètes. Or, la rousse voulait qu’aucun être vivant dans cette ville soit au courant de son pacte. Sinon, elle serait sûrement accusée de traîtrise, chassée, emprisonnée, exécutée. Alors qu’elle faisait tout cela pour eux ... Vive la reconnaissance.

Elle pénétra dans le grand hall, désert à cette heure. Ses pieds cliquetaient sur le sol de carrelage. Elle s’arrêta quelques secondes, scrutant l’obscurité à la recherche d’une ombre qui pourrait indiquer la présence de quelqu’un. Mais tout était silencieux. Cela la soulageait. Elle n’avait pas envie de subir les regards suspicieux de ses servants. Elle grimpa longtemps les marches jusqu’à sa chambre. Elle se rendait compte qu’elle était tout simplement épuisée. C’est vrai que beaucoup de choses s’étaient produites aujourd’hui. Elle étouffa un discret bâillement en rentrant dans sa chambre. Un peu de repos lui ferait du bien ... La rousse se laissa tomber sur son lit, se laissant seulement le temps de retirer son manteau et ses chaussures, où elle s’endormit.

Ceux sont les paroles de Canine qui la réveillèrent. Elle se redressa, le cœur battant, se demandant ce qu’il se passait. Mais elle reprit bien vite ses esprits et se souvint que c’était elle qui avait demandé au jeune homme de la rejoindre. En voyant sa fenêtre ouverte, elle ne put s’empêcher de sourire légèrement. Elle posa ses pieds nus sur le sol et se leva, faisant quelques pas en avant. Ses jambes ne tremblaient plus, elle se sentait un peu revigoré. Elle ne savait toujours pas l’heure qu’il était, mais cela lui était bien égal. Elle reporta son attention sur la créature qui lui faisait face. Celui-ci semblait essoufflé. C’était la première fois qu’elle le voyait subir les conséquences d’un effort physique, si on excepte les blessures qu’il avait subi en sa présence. Elle désigna un siège qui se trouvait à côté du lit.

« Prenez place. »

Alice se dirigea vers la fenêtre et jeta un coup d’œil dehors. Personne. Par précaution, elle ferma les battants et tira les rideaux. Elle alla ensuite verrouiller sa porte. Elle voulait être sûre que personne ne débarque pendant leur entretien. Il aurait été plus sage qu’ils aillent dans la mairie, car ils étaient sûrs alors de ne pas être dérangés, mais à vrai dire, Alice n’avait aucune envie de bouger de sa chambre moelleuse et chaleureuse pour aller dans ce bâtiment qu’elle détestait tant. Elle alluma une lampe, répandant une lumière diffuse dans la pièce puis retourna s’asseoir sur son lit. Elle entoura ses bras nus autour de son torse et pencha la tête, se cachant derrière sa cascade de cheveux. Il fallait qu’elle mette un peu d’ordre dans ses pensées avant de se lancer dans son interrogatoire. Au bout d’un moment de réflexion, elle releva la tête et regarda le mur, évitant Canine.

« Est-ce vraiment seulement pour que je sois votre réserve de sang que vous m’avez proposé ce pacte ? Ou y a-t-il une autre raison ? Car je ne vois pas vraiment ce que cela peut vous apporter ... Vous pouvez trouver une victime où vous voulez ... »

Elle voulait être claire sur ses intentions. Il était hors de question qu’elle soit dupée. Et c’est vrai que cela lui semblait assez bizarre que quelqu’un de sa trempe ait besoin d’elle pour survivre. Il était si puissant, et elle n’était qu’une humaine ... Certes, la Maire par remplacement de cette ville, mais quand même.

« Quand vous parliez de facultés, de quoi parliez vous exactement ? Vous dîtes m’assurer votre protection. Mais comment sauriez-vous que je serais en danger si vous n’êtes pas à mes côtés ? »

Et enfin la dernière question qui lui venait à l’esprit ...

« Si l’un d’entre nous meurt, est ce que cela aura un impact sur l’autre ? »

Normalement, ceux sont des questions qu’elle aurait dû poser avant de s’engager là-dedans. Mais il n’était jamais trop tard pour savoir dans quoi elle s’était lancée. Elle tourna la tête pour plonger son regard azur dans les pupilles rouges du chasseur. Elle se rendit compte qu’elle n’avait plus peur de lui. C’était déjà un progrès ...

{S'cuse pour la qualité~}

Devait-elle le prendre comme un compliment, le fait que son sang soit plaisant ? Elle ne savait pas trop. Car si Canine l’appréciait à ce point-là, ce pourrait être le cas d’autres suceurs de sang, qui pourraient très bien l’attaquer dans le but de boire ce liquide rouge si important à leurs survies. Elle écouta toutes les réponses attentivement, pour retenir ce qu’il lui disait. Il n’était pas du genre à répéter plusieurs fois la même chose, d’après ce qu’elle avait vu. Enfin au moins, elle était sûre qu’il n’allait pas la tuer sans raison, car il semblait avoir beaucoup d’intérêt à la garder en vie. Et bizarrement, cela ne l’étonnait pas. La créature se leva et vint s’agenouiller devant elle, parlant en français, langue qu’elle comprenait grâce à son éducation. Elle hocha doucement la tête. Cela faisait bizarre d’entendre ces mots sortir de la bouche de Canine. Il était difficile de l’imaginer servant quelqu’un ... Il se dirigea naturellement vers la fenêtre et sauta après une dernière parole. Elle resta là, immobile, dans sa chambre obscurcie pendant un moment. Puis elle alla fermer la fenêtre, jetant automatiquement un coup d’œil nerveux pour voir si personne ne l’observait. Elle devenait de plus en plus paranoïaque avec toutes ses histoires.

Elle avait envie de voir son père, maintenant que Théodore lui avait rappelé l’existence de ce parasite qui moisissait au fond d’un lit. D’ailleurs, cela faisait longtemps qu’elle ne lui avait pas fait boire une tisane. Elle alla devant sa coiffeuse, ouvrit le tiroir et enleva le faux fond, qui dévoilait un petit compartiment où se trouvait des feuilles séchées. Elle les obtenait d’une vieille femme qui les faisait pousser dans son jardin. En échange, Alice ne la faisait pas arrêter pour acte de sorcellerie. Comme quoi, on peut toujours s’arranger. Elle prit quelques feuilles qu’elle cacha dans sa manche et descendit jusqu’au rez-de-chaussée. Elle fit chauffer de l’eau dans la bouilloire et dès que la tisane fut prête, elle marcha d’un pas silencieux jusqu’à la chambre de son père, qui ne se trouvait non loin de là.

L’homme dormait dans son lit. Son visage était pâle, seules ses lèvres ressortaient, d’un léger rouge. Il était amaigri et ses cheveux vieillissaient prématurément. On pouvait discerner des rides profondément creusées sur son front. Sa respiration était sifflante et rapide. Il était vraiment dans un état lamentable. Alice s’arrêta au seuil, scrutant son géniteur. William ... Pourquoi n’avait elle jamais rien ressenti pour lui, à part une haine intense ? Il était horrible pour un enfant de tuer son parent, mais quand l’enfant le détestait, n’était-ce pas compréhensible ? Le Maire ouvrit les yeux et vit sa fille. Alice composa immédiatement le visage qu’elle lui réservait. Celui d’une jeune femme sympathique et joyeuse, ce qu’elle n’était pas du tout. Elle s’approcha du malade et lui posa sa tasse sur le côté. L’homme voulut parler, mais une toux le prit, le secouant de spasmes. La rousse se délectait de la souffrance qu’elle voyait sur le visage du Maire. Elle repensa à la proposition de Canine tandis qu’il buvait la décoction qu’elle lui avait préparé. C’était gentil de sa part de lui avoir proposé ça, mais non. C’était son affaire, elle s’en occupera toute seule. Son père se rendrait bien compte qu’il ne pouvait plus administrer la ville un jour ou l’autre ... Alice savait qu’il voulait qu’elle se trouve un mari, pour avoir un successeur masculin. Mais c’était hors de question qu’elle laisse quelqu’un d’autre diriger la ville tandis qu’elle resterait à la maison, sans rien faire. C’était une vie pour les femmes faibles, pas pour elle.

Lorsque son père eut fini le breuvage, qui le tuait à petit feu, et qu’ils eurent parlé un moment, elle remonta dans sa chambre. Pour l’instant, elle ne percevait aucun changement en elle, à part une certaine satisfaction de sa journée. A présent, il ne lui restait plus qu’à attendre que son compagnon soit disponible pour qu’ils aillent à la chasse à l’ennemi. D’ici là, elle allait rester sage, car sans sa protection, elle n’était pas sûre de faire long feu. Les créatures de l’ombre commençaient à entendre parler de cette gamine qui voulait les virer de sa ville et cela ne leur plaisait guère. Il valait mieux qu’elle se fasse discrète pour les prochains jours. Ce serait difficile, mais elle y arriverait ...