Jack O Lantern [Pv : Requiem]

Tic. Tac. Le temps passe. Le temps s’écoule. Il est long ou fugace, libre et parfois perdu. Qui mieux qu’un Maudit pouvait comprendre la valeur des minutes, des secondes, et parfois même des infimes fragments de vie qui ponctuent une existence ? Le temps ancré dans leur chaire, sentir les aiguilles qui courraient sur leur peau était une sentence bien étrange. Certains l’acceptaient, d’autre le combattait. Requiem, lui, se contentait de ne pas en tenir rigueur. Pourtant, c’était ce même cliquetis d’horloge que celui de son cœur qui l’avait conduit jusqu'ici. Dans ce parc, où l’odeur du semblait si intense qu’elle aurait pu s’élever jusqu’aux cieux. Tout n’était que mort et désolation. Les survivants s’évertuaient à brandir leurs livres, comme si leur foi pouvait conjurer une âme refusée par le diable en personne. Jack O Lantern. Un nom qui faisait trembler les enfants dans leur lit.
Mais pour comprendre cela, il fallait remonter quelques heures plus tôt.


Dans la ville, la nouvelle du massacre flottait sur toutes les lèvres. L’œuvre des Maudits, pour les habitants de Damn Time. Pourtant, il était futile d’imaginer qu’un Maudit eut perpétré un tel massacre, sans avoir déjà éradiqué la menace des Chasseurs qui planait au dessus des jouets du temps. Mais le joli minois de Marisa savait délier les langues, qui comptaient alors milles rumeurs que peu de gens étaient prêt à entendre. Les légendes ressortaient du passé, ramenant aux mémoires les chimères qui hantaient encore les esprits des adultes. Mais parmi les témoignages, un seul devenait récurant. La lueur macabre d’une lanterne, qui aurait disparue au petit matin. L’idée était folle, pourtant, chaque heure qui passait la répandait comme une trainée de poudre. L’homme qui avait leurré le diable. Le défunt qui, aujourd’hui encore, hanterait le monde en errant sans but. Prit de peur à cause du carnage inexpliqué, peu osaient prononcer son nom, comme pour ne pas attirer son courroux. Ils ne savaient pas encore qu’il était déjà trop tard.
Les rumeurs n’avaient pas finit de faire le tour de la ville. De son côté, Marisa en savait assez. Il était encore tôt dans l’après-midi, lorsque Lady Nightless quitta la ville, pour s’enfoncer dans les sentiers noueux de la forêt. Dans le panier qu’elle emportait, nul trace d’une galette et d’un petit pot de beurre. A la place, seul le cliquetis des balles accompagnait chacun de ses pas, ainsi que la délicieuse odeur d’une tarte aux pommes.


Une chose en implique toujours une autre. Aussi, cette nouvelle avait conduit Requiem à prendre le taureau par les cornes. Et à présent, il était là, parmi les cadavres, face à un fantôme d’un autre temps. Pourtant, chacun de ses pas dans le liquide poisseux était calme et solennel. Réalisait-il ? C’était là une question à laquelle son cerveau étriqué n’aurait sans doute pas su répondre.
Les corps étaient monceaux. La lame de ce cher, très cher Jack était sans pitié. Son long coutelas rouillé suintait de sang, et chaque vie arrachée du fil de sa lame faisait luire un peu plus sa lanterne. Un présent du diable, pour l’accompagner durant son éternel voyage. Il n’y avait ni punition, ni paradis pour les damnés. Seule l’attente, longue et insupportable. Dans son avancée inéluctable, la semelle d’Effray broyait les cadavres qui barraient son chemin. Dans son dos, sa trotteuse de sa faux d’horloger semblait s’affoler, comme consciente de faire face à une créature hors du court du temps.
Aucun des deux opposants ne semblait bouger. Le masque de métal qui couvrait le visage du Maudit cachait son faciès aux yeux du monde. La paroi immaculée ne laissait place qu’à deux fentes, au travers desquels ses yeux verrons luisaient de malice. Prêcheur contre prêcheur. Damné contre errant. L’un avait hérité de la folie, l’autre tenait du diable. Or, c’était là le pouvoir que cherchait aujourd’hui Requiem. Le seul pouvoir, capable d’endiguer les plus puissants démons qui hantaient Damn Time. Mais Lucifer n’était pas partageur.

Alors que la pièce aurait du commencer de la sorte, un nouveau protagoniste vint se joindre au spectacle. Un être sans plus de noblesse que les âmes souillées qui se faisaient face. Un combat, qui opposerait entre elles les âmes damnées qui hantaient les murs de la ville. N’était-ce pas là un spectacle grandiose ? Sortant du cours du temps, le Maudit se réjouissait déjà de ce splendide spectacle. Les aiguilles légèrement ancrées dans sa chaire lui tirèrent un long sourire, sous son masque d’acier. Loin était la raison. Ne restait que l’appel langoureux de la folie.

-Personnellement, je ne crois pas aux légendes, Et toi ?

Le soupire qui sortit des lèvres de Requiem fut comme un souffle venu d’outre-tombe. Vie, mort. La frontière n’existait plus pour un Maudit. Le rire qui franchit la barrière de ses lèvres fut bref, mais l’éclat glacial de sa voix était sans appel. La démence était devenue l’emblème de ce Prince de chaire tendre et de sang chaud.

- J’y croirais, lorsque ce sera mon nom que les mères conteront à leurs enfants effrayés.

D’un geste, la main gauche du Prince Fou avait épousée la gâchette de son premier revolver. La balle fusa hors de la gueule du démon de métal, se dirigeant droit vers la jambe du Chasseur. La sympathie n’était pas à l’ordre du jour. Sans plus attendre, le Maudit été partit droit sur Jack O Lantern. Ses doigts libres s’étaient emparés du manche de son improbable faux, dont les lames se déplièrent à peine sortie de leur harnais. L’horloge acérée siffla dans l’air, heurtant avec une violence inouïe le coutelas du démon. 23h54. Les deux lames de la faux se refermèrent comme une puissante mâchoire sur le l’acier rouillé de la vieille citrouille. Le pied du Maudit fusa droit en direction du visage de son opposant, faisant de chaque muscle de son corps une arme mortelle sculptée pour la bataille. Pourtant, son coup plongea au travers de son adversaire comme une épaisse fumée. Lantern était là, quelques centimètres sur la gauche tout au plus. D’un geste puissant, le coutelas partit en ligne droite, marquant une strie nette et profonde dans la joue d’Effray. Ce dernier ne dû sa survie au coup qu’à ses étonnant reflexes, roulant sur le sol pour éviter un coup horizontal. Ses doigts retrouvèrent le manche de sa faux, dont les trois lames vinrent frapper l’arme de Jack dans une gerbe d’acier. Sous son masque, les yeux du Maudits s’écarquillèrent. Le choc avait arraché à la trotteuse des fragments de métal, qui tintèrent doucement sur le sol pourpre. Une rafale de balles lui offrit les secondes nécessaires pour retrouver une position adéquate au combat, pourtant, aucun de ses tirs ne rencontra le corps du revenant. Comme si le métal refusait de défier cette créature tout droit revenue de l’enfer. Pourtant, il n’avait pas dit son dernier mot. Troquant sa faux contre un deuxième révolver, les tirs fusèrent en cascade dans l’attente d’une faille, aussi infime soit-elle.
Pourtant, ils étaient bien trois à livrer bataille. Aussi, le démon qu’il avait déjà affronté, aurait sans doute quelques atouts pour faire pencher la balance en leur faveur. Sans quoi, le prendre pour cible serait un vrai plaisir pour le Maudit.

La folie. Qu’importe ce que pourront vous compter le sage et le clerc, elle fait partit de ces fantômes qui, tant qu’un souffle de vie perdure, planent au dessus des Hommes dans l’espoir fugace, mais Ô combien inévitable de prendre le pas sur toute forme de raison. Ainsi allaient les choses, et seul le lâche pouvait clamer sur son lit de mort que jamais, pas un seul instant de sa vie, il n’avait été tenté de briser les chaines de la bienséance ; de bafouer liberté, limite et toute autre forme de retenue à l’esprit détraqué de celui qui se livre aux passions. C’est à l’instant où l’être s’abandonne au mal qui ronge son âme, que germe la rose noire qui enlace à jamais son cœur. Etrangement familière avec l’Horloge des Maudits, cette fleur dont les pétales suintent d’un sang pourpre permet à celui qui sait l’entretenir, de franchir les barrières du réel pour rejoindre ses chimères les plus profondes. Le monde n’était alors qu’une ère de jeu, un havre de démence : Le théâtre de la folie d’un seul Homme parmi les siens.

Son corps gisait dans l’herbe fraîche, dont les brins dodelinant chatouillaient chaque parcelle visible de sa main. Il était là, étendu, comme inanimé. Le bruit de son horloge semblait imperceptible, comme si l’engin de mort s’était finalement arrêté. Un jouet définitivement cassé ? Loin s’en faut. Non loin de là, la faux du Maudit s’ébranla soudainement, les mouvements secs de sa trotteuse tranchant l’herbe alentour à la racine. Le corps de Requiem s’anima à son tour, comme prit d’un violent frisson. Sous son masque d’acier, un long sourire scinda son visage jusque là impassible. Un rire, strident et instoppable, résonna dans tout le parc. Un chant déraisonné, porteur de mauvaises nouvelles. Les éclats répétés de sa voix étaient comme autant de syllabes crachées sur le même ton aigue, altérées par le masque de métal qui couvrait son visage. Le cuir de ses gants se referma sur l’herbe rase. Comme si une belle était venue le stopper dans son élan, le corps du Maudit se cambra subitement, avant de retomber mollement dans maigre végétation qui attendrie sa chute. Avec un calme d’autant plus incohérent que la folie semblait grande, la main gauche d’Effray se porta sur le métal froid, à l’emplacement où ses doigts auraient du rencontrer son front.

« Hors de mon chemin, pauvre créature délabrée, dont la mort n’aura fait qu’exacerber la pitoyable existence. »

Ses doigts progressèrent lentement jusqu’au manche de son arme, abandonnée près de lui. Sa seconde main se referma sur le tube d’acier, seul le son étouffé d’un long souffle accompagnant ses mouvements paisibles. La déraison était palpable, et ce n’était pas comme s’il aurait pu s’en cacher. Lentement, à la force de ses seuls muscles, son corps quitta la terre meuble. A nouveau sur ses deux pieds, le regard verrons du Maudit luisait avec l’éclat d’un prédateur. Peur ? Elle n’avait pas lieu d’être. Stratégie ? Qu’importe. Ce soir, il n’y en aurait pas le besoin.

Au loin, l’Eglise sonna. Comme ranimé par le son des cloches, Requiem se jeta droit sur Jack ; ce très cher Jack. Sa faux siffla dans l’air, aussitôt dévié par le coutelas émoussé. La chose n’était pas pour déplaire au Prince, qu’un saut inopiné propulsa droit sur le flanc gauche de son opposant. Les lames de l’arme s’abattirent, tintant l’une après l’autre contre l’acier rouillé. Pourtant, les gestes du Maudit étaient suffisamment brefs et légers pour ne pas être prit de vitesse par O’ Lantern. Du moins, pas pour le moment. Une brève impulsion suffit à faire tournoyer l’arme sur le dos de sa main. Effray n’hésita pas à suivre le mouvement, présentant sans crainte son dos ouvert à son opposant. Du moins, il aurait du être ouvert ; puisque le manche de la faux vint aussitôt frapper le bras d’O’ Lantern. Ce dernier ne sembla pas affecté outre mesure, mais le Maudit était loin d’avoir dit son dernier mot. Dextérité était le mot d’ordre, aussi, la faux dansa autour de lui comme un bouclier pour parer les coups du revenant. Quelques longues estafilades apparurent néanmoins au fil des coups, ne faisant qu’augmenter avec le temps. Les doigts du Maudit virevoltaient entre les lames régulières de son arme, conscient du risque que chaque seconde représentait. Cependant, les pas d’un protagoniste redondant mirent fin à ce bref ballet. D’un mouvement du poignet, Requiem parvint à immobiliser, une seconde, l’arme du défunt. Sa main gauche dégaina son révolver trop longtemps abandonné, dont la gueule béante cracha trois balles en direction de la tête du Chasseur.

Le résultat se fit attendre, mais ne fut pas encore révélé au Maudit. L’envie de faire gicler la cervelle de ce pénible tueur de montres n’était pas pour lui déplaire, mais sa faux glissa de ses mains suite à une riposte immédiate de l’âme errante. L’arme glissa sur le sol, et le coutelas s’abattit avec une vivacité inhumaine le long du torse du Maudit. Une strie nette et verticale, d’où perlaient les gouttes de sang. Son corps s’immobilisa, comme tétanisé par le puissant coup du condamné.

« Ceux que tu as tué hurlent au travers de ton arme… »

Son bras se dressa, bravant la mort par son indescriptible folie. Son rire éclata à nouveau dans le parc, plus grave, alors que trois coups de feu résonnèrent. Pourtant, chacune des balles ne fit que transpercer un fin nuage de brume qui avait remplacé la silhouette de Jack O’ Lantern. Nouveaux tirs, qui n’eurent pas plus de succès. Du moins, jusqu’à ce qu’un vif coup de pied du Maudit ne cueilles celui qui avait trompé le diable à la pointe du menton. Le coup avait été suffisamment anticipé pour prendre Jack suite à ses déplacements, mais l’égide orangée qui l’enveloppa fit bien vite déchanter le Maudit. Hors de question que les choses se passent si facilement, pour châtier celui qui vivait entre nuit et jour. Deux tintements métalliques se firent entendre. La flamme crépitant de la lanterne s’anima de plus belle, sous le regard fasciné d’Effray. Face aux braises offertes par le Diable, il était pourtant orgueilleux de ne pas fuir avant l’inévitable. La gerbe d’énergie jaillit, envoyant valser au loin le corps du Maudit. Son épaule tomba lourdement contre les pavés de la ville, laissant un cri plus proche du râle témoigner de sa douleur. Chaque attaque semblait plus stérile que la précédente, comme si rien ne pouvait percer l’étrange défense du damné.

<< Il me semble être en cage. Un liquide visqueux recouvre chaque parcelle de ma peau. Suis-je en enfer, comme l'avait dit Jack ? N'est qu'un rêve ? Ou un souvenir ? Deux grands yeux bleus me fixent sans jamais cligner. Ils semblent fascinés à l'idée de me voir ne serais-ce que bouger. Où suis-je ? Que me veulent ils ? Des lèvres se dessinent soudain. Elles sont en mouvement, mais aucun son n'en sort. Peu à peu, elles s'éloignent. Non. Non. Je refuse. Je veux des réponses. Je les exiges. Le sang vint se répandre sur moi. Encore. Je veux encore tuer. Des hurlements de nourrissons parviennent soudain jusqu'à mes tympans. Si Jack existe, c'est que le diable aussi. Si le diable existe, c'est que Dieu aussi. Si dieu existe et qu'il a fait les hommes à son images, alors le monstre que je suis à sa place ici bas. Car ce monde ne peu être que l’œuvre d'un fou avide d'horreurs. Alors je plierais ce monde à ma volonté. >>

Dans ce duel d'outre mondes, les créatures se faisaient face. Péniblement remit sur pied, Requiem observais paisiblement les assauts des deux improbables créatures, un fin rictus fendant ses lèvres. En ses bordures, le masque d'acier sur son visage s'effritait. Un simple Maudit n'avait pas sa place dans ce duel de titans, pourtant, celui qui se voulait Prince ne pouvait s'avouer vaincu par l'assaut grossier des flammes, pas plus que par ces formes incertaines qu'étaient devenu le Chasseur. Pourtant, l'immortalité de l'un comme de l'autre pouvait faire frémir son ego avide de pouvoir. Lui qui, en dépit de son humanité perdu, pouvait périr au moindre coup. Il était bien aisé pour les démons de se battre au sommet, et à cette fin, Effray savait qu'il devait lui même devenir l'un d'eux. Alors, le sang qui maculait son visage perla doucement le long de sa peau, formant une raie pourpre à l'orée du masque de métal. Goutte à goutte, les perles rouges imbibaient l'herbe entre les pieds du Maudit. Les échos de l'affrontement entre Jack et le Chasseur couvrirent le cliquetis métallique des chargeurs qui se détachaient, pour mieux choir sur le sol. Les dernières balles roulèrent dans l'herbe qui rougissaient de secondes en secondes, de par la quantité de sang versé lors de cette bataille. Avec un calme troublant, Requiem enclencha son second chargeur dans un claquement sonore, lorsque la silhouette du Chasseur se dessina tout près de lui. Effray resta de marbre lorsque la poigne ferme de la créature le décolla du sol, sans que le moindre son ne s’échappe de ses lèvres. Pas un rire, pas un soupire. A la place, son masque glissa lentement sur son visage pour mieux s'écraser dans la terre meuble. Son sourire arrogant n'avait alors d'égal que son regard brûlant d'orgueil, dans lequel on pouvait encore lire chaque parcelle d'une irréparable folie. Les aiguilles continuaient leur chemin, mais la trotteuse avait prit un peu d'avance.
La mise en garde fut futile, tout autant qu'elle l'aurait été adressée à un sourd. A la place, lorsque ses pieds eurent regagnés le sol, Requiem s'avança d'une démarche lente et dénaturée à la rencontre de la créature. S'il allait réagir ? Sans doute, puisque l'arme du Maudit vint se loger tout contre sa gorge. Mais il n'y eut pas de coup de feu, comme pour préserver le calme paisible de cette nuit. Qu'importe que la lame du Chasseur vienne se loger où nous contre sa gorge, Effray s'avança, tout prêt, susurrant d'une voix lente chaque syllabe dans le creux de l'oreille de son terrible adversaire.

« Imagines-tu que je vais t'obéir ? Pauvre créature... De tels pouvoirs ne devraient pas être gâchés par de pauvres poupées sans ambition dans ton genre. »

Tout aussi soigneusement qu'il s'était approché, il se décolla. Dans le dos du Chasseur, les flammes commençaient à s'animer pour venir dévorer ceux qui s'étaient opposés à l'émissaire du diable. Tout n'était qu'une question de seconde, que le temps d'un murmure, durant lequel Requiem posa son regard aussi vide que perçant sur le Chasseur.

« Si tu es un démon, je deviendrais le diable. Si tu es le diable, je deviendrais ton maître. Mais si tu ne peux venir à bout de ce cadavre putride, alors reste hors de mon chemin. »

Les flammes jaillirent alors, ne laissant qu'au Maudit l'infime seconde nécessaire pour tournoyer sur lui même. Les langues de feu brûlèrent son flanc droit, mais seul un rictus joueur vint répondre à l’atroce douleur de la brûlure de ses chaires. Les détonations déchirèrent les cieux d'encre. Ses deux pistolets en main, le Maudit n'avait pas attendu d'avoir terminé son mouvement pour ouvrir le feu. Mais les balles se perdaient dans les volutes de fumée qui remplaçaient la silhouette de l'Irlandais. Et plutôt que d'attendre paisiblement, ce dernier arriva en une fraction de seconde sur Requiem. Seule une roulade sur le côté le sauva d'un coup de coutelas. Accroupis, deux balles furent tirés avant que Jack O' Lantern ne soit à nouveau sur lui. Sa jambe droite comme pilier, le Maudit pivota avec une vélocité étonnante pour éviter le fil de la lame, qui s'enfonça dans la terre. De sa main gauche, il entreprit de délivrer deux balles dans la joue de l'Irlandais. Rien n'y faisait, puisque les douilles s'écrasèrent sur la paroi orangée qui recouvrait le corps du condamné. Comme deux pièces de monnaie, elles tombèrent au sol. A cet instant, l'Irlandais tourna son visage lugubre vers le Maudit. La lanterne émit à nouveau sa lueur rougeoyante, avant de délivrer une puissante ondée d'énergie droit sur le Maudit. Fort heureusement, il n'y eut pas de flammes. A la place, l'énergie obscure cueillie Requiem à la pointe de l'estomac, l'envoyant rouler au sol comme un vulgaire fœtus de paille. Ce fut sans doute cette idée qui révolta le Maudit. Après avoir laissé un gerbe de sang maculer ses pieds, Effray s'élança à corps perdu sur l'Irlandais. Le coutelas sifflait dans les airs, mais les mouvements vifs et agiles du Maudit lui permirent d'esquiver les coups les plus dangereux. Sans arme ni d'immortalité pour s'opposer à la lame de Jack, il était peine perdue pour lui de s'opposer à ses coups. Aussi, quelques coups de feu tiré ci et là repoussait parfois l'Irlandais, sans pour autant lui infliger le moindre dommage. Avec les secondes, les munitions s'épuisaient. Et recharger était l’œuvre d'une dextérité notable, ajoutée à un infime répit offert par une roulade bien logée. Mais rien n'y faisait, et l'énergie du damné ne semblait que décuplée à chaque minute qui passait. Après un coup de coutelas qui siffla sur sa droite, Requiem s'empressa de se coller à Jack pour mieux lui délivrer deux demi-chargeurs dans l'estomac. Si l'opération fut ralentie par la protection de l'Irlandais, elle ne lui en tira pas moins un râle ; témoignant sans doute du gêne qu'était ce Prince orgueilleux dans ses déambulations funèbres.
Si le Chasseur profiterait de cette opportunité ? Sans nul doute, car l'instant suivant, Requiem reculait de quelques pas pour maintenir ses distances. Et face à lui, Jack O' Lantern brandit alors la braise du diable dans les airs, la gemme plus incandescente que jamais...

A côté du Prince, le Démon n'était plus qu'un amas fumant de chaires. Réduit en charpie, l'Immondice tentait vainement d'affronter un adversaire trop grand pour elle. A cette image, le Prince ne pu réprimer un sourire. A quoi bon être investit de si grands pouvoirs, lorsqu'on ne peut pas mourir ? Cela n'avait aucun sens. Celui qui vit immortel ne peut pas outrepasser ses limites. Son statut d'éternel le condamne à se satisfaire de son pouvoir, et lorsqu'approche le vrai visage de la mort... Oh oui, lorsqu'il fallait combattre le Mal par le Mal, cet immonde rebut n'était qu'un enfant, un enfant battu par un père aigri ! Quelle risible révolte, quel écœurant gâchis ! Plutôt que d'attendre le retour du Bourreau, il aurait été tellement plus judicieux de tailler ces vieux os, pour en faire un pieux plus tranchant que le diamant. Et au lieu de cela... Ô misérable lâche, venu tâter du martinet encore rougit de sang. Les aiguilles de l'horloge s'enfonçaient lentement dans la chaire du Maudit, lui tirant un cri langoureux. Le désir, telle était l'émotion trahie dans cette douloureuse complainte. Le désir de pourfendre ce Chasseur, et de l'ôter de l'indigne pouvoir qui l'animait ! Quelle joie serait-ce que de cribler son corps de balle, de trancher en lambeaux cette chaire immortelle jusqu'à ce qu'une quelconque entité, trop miséricordieuse, vienne prendre la vie du condamné. Alors que ses yeux verrons suivaient l'affrontement entre le Chasseur et le Maréchal-Ferrant, Requiem jubilait. Malheureusement, la réalité était autre. En cette douce nuit, la mort rodait. Dans son dos, il pouvait sentir les bras de la Faucheuse. C'était cette sensation, qui l'accrochait encore au monde des vivants. Cette indescriptible poussée d'adrénaline, qui lui prouvait être en vie. L'énergie frénétique du désespoir battait jusque dans ses tempes, et en cet instant, le Maudit aurait pu repousser les limites de l'Homme.
Fort heureusement, il n'était plus un Homme.

Les flammes s'élevaient haut dans le ciel, dévorant les corps des défunts clercs. Qu'importe la racaille qui hantait ce parc : Les morts n'avaient pas leur mot à dire. Était-ce les flammes de Jack, ou celle du Prince lui même ? Il ne le savait pas, et n'y accordait aucune importance. Sa faux cliquetait doucement, et de sa démarche lente, le Maudit rejoint cette triste compagne. Ses doigts enlacèrent le métal froid, et aussitôt, les lames s'affolèrent. La trotteuse restait pointée sur le quart d'heure, allant et venant d'un mouvement saccadé sur cette même position. Et le rire du Prince retentit dans le parc, lugubre et pourtant joueur. Les restes du Chasseur s'envolèrent au loin, alors qu'un sourire fendait le visage d'Effray.

« Voilà pourquoi tu n'es qu'un chien galeux. Assis sur ton trône comme un vieux Roi, la paix a émoussé ta lame... »

Mais déjà, le regard du Maudit quitta le corps en lambeaux du Démon. Jack O' Lantern... Comme un fauve, le Maudit bondit dans la direction de l'errant. Sa faux entrechoqua le long coutelas du macchabée. Le bras d'Effray vibra sous l'impact, mais contrairement aux Démons, le Maudit ne pouvait se permettre d'essuyer un assaut mortel. Aussi, ravivé par la caresse de la faucheuse contre son cou, le Maudit pivota pour mieux abattre sa faux sur Jack. Peine perdue, car la lame ricocha contre l'égide de l'Irlandais. D'un geste du bras, ce dernier châtia le Maudit au loin. Son corps roula lourdement entre les flammes, jusqu'à finir étendu dans la boue. Le regard de Requiem s'était figé, empli d'effroi, en constatant l'immense brûlure qui barrait son torse. L'odeur de la chaire encore chaude titilla ses narines, et un long hurlement déchira le ciel. Le souffrance. Le désespoir. Car réduit ainsi, le Maudit ne pouvait qu'observer, terrifié, l’avènement de l'Irlandais. Pourtant, tous n'étaient pas encore venus se joindre à cette misérable bataille. La voix d'un homme résonna dans le parc. Un être qui s'était terré dans l'ombre pendant trop longtemps.